Comment aborde-t-on un sujet scientifique complexe quand on n’a pas les bases nécessaires ? Samedi dernier j’ai vécu une super expérience : j’ai eu l’occasion d’écouter, en toute discrétion, des adultes novices parler de physique quantique. J’ai alors pu observer en direct les réactions, les obstacles et les stratégies qu’adoptent des non-spécialistes face à un savoir complexe. J’en retire trois principes pour rendre la science accessible à toutes et tous, explorons-les ensemble !

Le contexte : un arpentage dans les allées de la physique quantique

Connaissez-vous la pratique de l’arpentage ? On réunit des personnes pour lire un livre (l’“arpenter”) au cours d’un moment de lecture collective et de débat. On déchire le livre en plusieurs parties 😱, chaque arpenteur lit sa partie, puis on échange et on reconstruit le fil de l’histoire. Samedi dernier, je me suis donc retrouvée avec 11 autres personnes à arpenter le livre Si Einstein avait su”, d’Alain Aspect. Parler de physique quantique dès 9h30 un samedi matin… il fallait une énorme dose de motivation !

Un livre de physique quantique posé sur une table. Des pages de ce livre sont posées à côté d'un cahier rempli de notes manuscrites, caractéristiques de la pratique de l'arpentage.

Un arpentage autour de la physique quantique : un dispositif de médiation scientifique étonnant !

Cette motivation a été bien récompensée : je n’ai pas vu les trois heures passer ! Cette expérience était un vrai laboratoire de médiation scientifique, d’autant plus que je me suis retrouvée immergée avec mon public de prédilection : des adultes curieux des sciences, mais un peu craintifs, dont le premier réflexe est de dire que c’est trop compliqué pour eux. Nous avons arpenté courageusement les chemins de la physique quantique, et j’en retire trois leçons de médiation : trois principes pour rendre la science accessible à des publics éloignés.

Principe n°1 : le fil logique de ton propos tu soigneras

Tous les arpenteurs, novices en physique quantique, avaient chacun quinze pages de livre entre les mains. Nous n’avions généralement pas le début du chapitre, ni la conclusion du propos. Parmi les nombreux – et légitimes ! – “je n’ai pas bien compris”, plusieurs participants ont mentionné : « Je me suis référé aux articulations logiques du texte : “donc”, “parce que”, etc pour trouver le sens du propos ». Ainsi, le fil d’un dispositif de médiation scientifique est indispensable : il doit être simple et solide.

Je repense à l’atelier “L’espace dans tous les sens” que j’avais animé pour des 8 ans et plus, donc adultes compris. Une maman était venue avec son enfant et le petit frère de 6 ans. Je déroulais mon atelier et à un moment le petit a levé le doigt :

     – La roche que tu nous montres, c’est de la lave qui vient des volcans… 🤔
     – Oui ! – effectivement, il s’agissait de basalte
     – On peut trouver ça sur la Lune…
     – Tout à fait !
     – … Donc ça veut dire qu’il y a eu des volcans sur la Lune !

J’expliquais effectivement qu’il y a eu du volcanisme sur la Lune. Et ce jeune garçon l’avait parfaitement saisi, même si je parlais plus vite et avec d’autres termes que ce que j’aurais fait normalement pour son âge. Le fil de mon propos était assez évident et solide pour qu’il puisse le suivre et arriver avec nous à la conclusion : il y a eu des volcans sur la Lune.

Qu’on ait 6 ou 56 ans, qu’on nous parle de la Lune ou de physique quantique, on a besoin d’une chemin net et bien balisé pour découvrir un sujet. Ainsi, même si on s’écarte du chemin, il est facile d’y revenir. Mais un bon fil logique ne suffit pas pour rendre la science accessible : encore faut-il capter l’attention…

Principe n°2 : un accès par l’esthétique tu offriras

Revenons à cet arpentage au milieu des particules quantiques. Lors du tour de table, plusieurs participant.e.s ont mentionné « Je me suis laissé.e porter par la poésie des mots ». L’un d’entre eux a ajouté « Je ne savais pas que de la matière pouvait être arrachée, qu’un atome pouvait être excité… » Effectivement, la prose est jolie ! Qui a dit que les sciences étaient dénuées de toute esthétique ☺️ ? Pour ma part, je suis totalement convaincue que la science peut être poétique et susciter des émotions.

Les enfants, les réfractaires aux sciences, les seniors… ont besoin d’une porte d’entrée vers la science. Cette porte d’entrée doit être rassurante et faire envie, alors je m’attache à aborder les sciences sous un angle esthétique et/ou artistique.

De fait, les ateliers Lumineux font appel au théâtre d’improvisation, à de splendides cartes anciennes, à des livres jeunesse… On parle bien de science, mais on se décale, sur un chemin plus rassurant et chaleureux, et on fait appel aux émotions des participant.e.s.

Un jeune garçon à lunettes penché sur des cartes anciennes.

Admirer des cartes anciennes pour parler de représentation schématique : ✅

Principe n°3 : la complexité de la science tu mentionneras

L’esthétique attire, mais ne tombons pas dans le piège. Pour rendre la science accessible, il faut aussi assumer la complexité des sciences, sans décourager ni infantiliser.

Or « dire “c’est simple”, c’est dangereux ». Sacrée punchline, non 😎 ? Je l’emprunte à une participante de l’arpentage. Nous étions plusieurs à lire dans nos extraits c’est simple”, facile”… alors que nous n’en menions pas large.

Dire “c’est simple”, c’est dangereux quand on ne sait pas à qui on le dit. En l’occurrence, au cours de l’arpentage, on pouvait se sentir un peu bête ou démuni face à l’accumulation de propos considérés comme faciles. Non, la démonstration de la formule de Planck n’est pas vraiment facile à comprendre pour le grand public !

Je crois qu’il faut trouver la juste mesure entre dédramatiser la science, affirmer que tout le monde peut explorer les sciences… et rendre compte de sa difficulté. A ce propos, j’avais beaucoup aimé l’interview de Julien Bobroff sur la chaîne Sci+. Ce vulgarisateur scientifique tient à mentionner que la science c’est compliqué : il est normal de devoir faire un effort intellectuel quand on cherche à creuser un sujet.

Alors, lorsque je conçois un dispositif de médiation, je m’astreins à trouver ce juste équilibre. L’objectif est d’amener vers la science en s’amusant, en faisant appel à l’esthétique et à nos émotions… Mais on va vers de la “vraie science”, c’est-à-dire des sujets complexes, avec de nouveaux mots à s’approprier. Et ce jeu d’équilibriste est passionnant !

Conclusion

Il y a bien sûr d’autres principes importants à suivre pour rendre la science accessible à des publics éloignés. Ce n’est qu’un échantillon, mais il est précieux car il provient de témoignages directs de participants. Et on ne le dira jamais assez : priorité public ! D’autres principes vous semblent essentiels ? Parlons-en en commentaires !

Comment aborde-t-on un sujet scientifique complexe quand on n’a pas les bases nécessaires ? Samedi dernier j’ai vécu une super expérience : j’ai eu l’occasion d’écouter, en toute discrétion, des adultes novices parler de physique quantique. J’ai alors pu observer en direct les réactions, les obstacles et les stratégies qu’adoptent des non-spécialistes face à un savoir complexe. J’en retire trois principes pour rendre la science accessible à toutes et tous, explorons-les ensemble !

Le contexte : un arpentage dans les allées de la physique quantique

Connaissez-vous la pratique de l’arpentage ? On réunit des personnes pour lire un livre (l’“arpenter”) au cours d’un moment de lecture collective et de débat. On déchire le livre en plusieurs parties 😱, chaque arpenteur lit sa partie, puis on échange et on reconstruit le fil de l’histoire. Samedi dernier, je me suis donc retrouvée avec 11 autres personnes à arpenter le livre Si Einstein avait su”, d’Alain Aspect. Parler de physique quantique dès 9h30 un samedi matin… il fallait une énorme dose de motivation !

Un livre de physique quantique posé sur une table. Des pages de ce livre sont posées à côté d'un cahier rempli de notes manuscrites, caractéristiques de la pratique de l'arpentage.

Un arpentage autour de la physique quantique : un dispositif de médiation scientifique étonnant !

Cette motivation a été bien récompensée : je n’ai pas vu les trois heures passer ! Cette expérience était un vrai laboratoire de médiation scientifique, d’autant plus que je me suis retrouvée immergée avec mon public de prédilection : des adultes curieux des sciences, mais un peu craintifs, dont le premier réflexe est de dire que c’est trop compliqué pour eux. Nous avons arpenté courageusement les chemins de la physique quantique, et j’en retire trois leçons de médiation : trois principes pour rendre la science accessible à des publics éloignés.

Principe n°1 : le fil logique de ton propos tu soigneras

Tous les arpenteurs, novices en physique quantique, avaient chacun quinze pages de livre entre les mains. Nous n’avions généralement pas le début du chapitre, ni la conclusion du propos. Parmi les nombreux – et légitimes ! – “je n’ai pas bien compris”, plusieurs participants ont mentionné : « Je me suis référé aux articulations logiques du texte : “donc”, “parce que”, etc pour trouver le sens du propos ». Ainsi, le fil d’un dispositif de médiation scientifique est indispensable : il doit être simple et solide.

Je repense à l’atelier “L’espace dans tous les sens” que j’avais animé pour des 8 ans et plus, donc adultes compris. Une maman était venue avec son enfant et le petit frère de 6 ans. Je déroulais mon atelier et à un moment le petit a levé le doigt :

     – La roche que tu nous montres, c’est de la lave qui vient des volcans… 🤔
     – Oui ! – effectivement, il s’agissait de basalte
     – On peut trouver ça sur la Lune…
     – Tout à fait !
     – … Donc ça veut dire qu’il y a eu des volcans sur la Lune !

J’expliquais effectivement qu’il y a eu du volcanisme sur la Lune. Et ce jeune garçon l’avait parfaitement saisi, même si je parlais plus vite et avec d’autres termes que ce que j’aurais fait normalement pour son âge. Le fil de mon propos était assez évident et solide pour qu’il puisse le suivre et arriver avec nous à la conclusion : il y a eu des volcans sur la Lune.

Qu’on ait 6 ou 56 ans, qu’on nous parle de la Lune ou de physique quantique, on a besoin d’une chemin net et bien balisé pour découvrir un sujet. Ainsi, même si on s’écarte du chemin, il est facile d’y revenir. Mais un bon fil logique ne suffit pas pour rendre la science accessible : encore faut-il capter l’attention…

Principe n°2 : un accès par l’esthétique tu offriras

Revenons à cet arpentage au milieu des particules quantiques. Lors du tour de table, plusieurs participant.e.s ont mentionné « Je me suis laissé.e porter par la poésie des mots ». L’un d’entre eux a ajouté « Je ne savais pas que de la matière pouvait être arrachée, qu’un atome pouvait être excité… » Effectivement, la prose est jolie ! Qui a dit que les sciences étaient dénuées de toute esthétique ☺️ ? Pour ma part, je suis totalement convaincue que la science peut être poétique et susciter des émotions.

Les enfants, les réfractaires aux sciences, les seniors… ont besoin d’une porte d’entrée vers la science. Cette porte d’entrée doit être rassurante et faire envie, alors je m’attache à aborder les sciences sous un angle esthétique et/ou artistique.

De fait, les ateliers Lumineux font appel au théâtre d’improvisation, à de splendides cartes anciennes, à des livres jeunesse… On parle bien de science, mais on se décale, sur un chemin plus rassurant et chaleureux, et on fait appel aux émotions des participant.e.s.

Un jeune garçon à lunettes penché sur des cartes anciennes.

Admirer des cartes anciennes pour parler de représentation schématique : ✅

Principe n°3 : la complexité de la science tu mentionneras

L’esthétique attire, mais ne tombons pas dans le piège. Pour rendre la science accessible, il faut aussi assumer la complexité des sciences, sans décourager ni infantiliser.

Or « dire “c’est simple”, c’est dangereux ». Sacrée punchline, non 😎 ? Je l’emprunte à une participante de l’arpentage. Nous étions plusieurs à lire dans nos extraits c’est simple”, facile”… alors que nous n’en menions pas large.

Dire “c’est simple”, c’est dangereux quand on ne sait pas à qui on le dit. En l’occurrence, au cours de l’arpentage, on pouvait se sentir un peu bête ou démuni face à l’accumulation de propos considérés comme faciles. Non, la démonstration de la formule de Planck n’est pas vraiment facile à comprendre pour le grand public !

Je crois qu’il faut trouver la juste mesure entre dédramatiser la science, affirmer que tout le monde peut explorer les sciences… et rendre compte de sa difficulté. A ce propos, j’avais beaucoup aimé l’interview de Julien Bobroff sur la chaîne Sci+. Ce vulgarisateur scientifique tient à mentionner que la science c’est compliqué : il est normal de devoir faire un effort intellectuel quand on cherche à creuser un sujet.

Alors, lorsque je conçois un dispositif de médiation, je m’astreins à trouver ce juste équilibre. L’objectif est d’amener vers la science en s’amusant, en faisant appel à l’esthétique et à nos émotions… Mais on va vers de la “vraie science”, c’est-à-dire des sujets complexes, avec de nouveaux mots à s’approprier. Et ce jeu d’équilibriste est passionnant !

Conclusion

Il y a bien sûr d’autres principes importants à suivre pour rendre la science accessible à des publics éloignés. Ce n’est qu’un échantillon, mais il est précieux car il provient de témoignages directs de participants. Et on ne le dira jamais assez : priorité public ! D’autres principes vous semblent essentiels ? Parlons-en en commentaires !